Barbed Wire

Un appel de la dernière survivante des camps d'internement

Written by Mary Manko Haskett

30 January 1994

Barbed Wire

ThumbNail Image  

Dr. Lubomyr Luciuk, Mrs. Mary Manko Haskett and UCCLA chairman, John Gergorovich, in Ottawa, March 1993 (Photo by F. Monte)

J'ai 85 ans, ce qui n'a rien d'inhabituel. Mais ce qui me différencie des autres de mon âge, c'est que je suis la dernière survivante connue du premier camp d'internement du Canada. Je faisais partie des milliers d'Ukrainiens-Canadiens rassemblés en tant que «sujets d'un pays ennemi» et placés dans des camps de concentration entre 1914 et 1920. Ceci s'est produit au Canada, et vous n'en avez probablement jamais entendu parler.

J'avais 6 ans à l'époque, et j'étais innocente. Je n'avais rien fait de mal. Et comme moi, les Ukrainiens du Canada ne manquaient pas de loyauté. C'est notre emprisonnement qui a été injuste.

Je suis née au Canada. Je vivais à Montréal avec mes parents, mon frère, John, et mes soeurs, Anne et Carolka, ou Nellie comme nous l'appelions. Nellie était née à Montréal. Elle venait d'avoir 2 ans et demi quand nous l'avons enterrée près du camp d'internement de Spirit Lake (Québec).

Je voudrais retourner sur la tombe de Nellie, une dernière fois. Mais on me dit qu'elle n'existe plus. Le corps de Nellie a été enlevé. Pourquoi, quand, ou comment, je ne sais pas. Personne ne semble savoir où elle repose. Mes parent sont enterrés à Mississauga (Ontario), près de l'endroit où j'habite. Un jour, je serai enterrée à côté d'eux. J'aimerais que Nellie puisse être avec nous. Mais cela n'arrivera jamais. Ottawa a interné ensemble les membres de notre famille, mais dans la mort Ottawa ne nous réunira pas.

Je ne savais rien de la campagne que menaient les Ukrainiens-Canadiens pour faire admettre par Ottawa qu'une injustice avait été commise et pour demander une sorte de réparation symbolique, jusqu'à ce que je lise un article à ce sujet à l'automne de 1988. J'ai alors été heureuse parce que je pouvais enfin prouver à mes enfants et à mes petits-enfants que je leur avais dit la vérité. Auparavant, chaque fois que je disais que j'avais été internée au Canada, ils avaient du mal à me croire. Spirit Lake n'existe plus sur les cartes. Et les historiens du Canada n'ont pas parlé des camps d'internement de notre pays pendant la Première Guerre mondiale. C'est comme si rien ne s'était passé.

Peut-être que les historiens du Canada ne pensent pas que ce qui m'est arrivé, à moi et aux autres, avait de l'importance. Mais c'est faux. Nous étions nés ici. Nous étions canadiens. Nous n'avions rien fait de mal. Et ceux de la génération de mes parents qui avaient quitté l'Ukraine pour le Canada étaient venus chercher la liberté. Ils avaient été invités à venir. Ils travaillaient dur. Ils contribuaient à la vie de ce pays, par leur sang, par leur sueur et par leurs larmes. Beaucoup de larmes.

Je vais donc le redire. Ce qu'on nous a fait était injuste. Et parce que personne n'a pris la peine de se rappeler ou d'apprendre qu'on nous a traités injustement, l'histoire s'est répétée et elle se répète encore. C'est là peut-être une plus grande injustice encore.

Ces dernières années, j'ai fait ce que j'ai pu pour rétablir la vérité. J'ai prêté mon nom à ceux de la communauté ukrainienne- canadienne qui, depuis une dizaine d'années maintenant, demandent justice. J'ai été frappée par leur engagement et leur persévérance, surtout parce qu'aucun d'eux n'avait de raison personnelle de partir en campagne. Ce n'est pas comme si leurs parents ou grands-parents avaient été internés. Aucun membre de leurs familles n'a subi ce que j'ai subi, et ils ne connaissaient même pas de personne qui soit passée par là. Je suppose que s'ils ont persévéré pendant toutes ces années, c'est parce qu'ils comprennent, en tant que Canadiens, pourquoi cet épisode de l'histoire de notre pays ne doit jamais tomber dans l'oubli.

Des amis appartenant à d'autres communautés ethnoculturelles canadiennes, quelques députés, des professeurs d'université, des artistes, des juristes et autres s'étaient joints à nous. J'aimerais les remercier pour leur aide et leur dire que je regrette que justice n'ait pas encore été faite.

À une époque, je croyais vraiment que nous obtiendrions gain de cause de mon vivant. Je pensais que si quelqu'un mettait les faits sous les yeux du public, Ottawa ferait ce qui est juste. Je regrette que cela ne se soit pas produit. Même si quelques hommes et quelques femmes de bonne volonté, des trois partis qui étaient au Parlement avant les dernières élections, m'ont rencontrée quand je me suis rendue sur la Colline en mars dernier, ni le premier ministre ni le ministre du Multiculturalisme n'ont daigné me recevoir. Je ne sais pas pourquoi.

Mais quelqu'un a remarqué. Ce n'était pas un homme politique. C'était un ancien combattant de la Grande Guerre. Il m'a téléphoné pour m'expliquer qu'il n'avait jamais su ce qui était arrivé à des gens comme moi au Canada pendant qu'il était dans les tranchées à combattre pour son pays. Il m'a dit qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour m'aider. Il n'y a rien qu'il puisse faire, mais je suis contente qu'il m'ait appelée. Sa gentillesse me donne espoir. Il comprend.

Aujourd'hui il y a un nouveau gouvernement à Ottawa, et j'ai un an de plus. J'ai décidé d'écrire cet article parce que je ne sais pas si les gens qui ont dit à Brian Mulroney et à Gerry Weiner de ne pas me recevoir ne sont pas les mêmes conseillers qui diront maintenant au premier ministre Jean Chrétien et à Sheila Finestone de faire la même chose. J'espère que non. J'ai entendu dire que certains, à Ottawa, espèrent qu'après ma mort le gouvernement pourra passer outre aux revendications de notre communauté parce que le dernier témoin survivant ne sera plus de ce monde. J'espère que ce n'est pas vrai. Je prie pour que tous les partis de la Chambre des communes fassent ce qui est honorable et règlent la question, de mon vivant. Ils le peuvent s'ils le veulent.

Mais je me rends compte qu'il me reste peu de temps. C'est pourquoi, juste en cas, je vais laisser cette déclaration derrière moi. Selon toute probabilité, les hauts fonctionnaires qui croient pouvoir régler la question en refusant de me recevoir me survivront. Mais ils ne survivront pas à mon testament.

Barbed Wire

Icon Icon Icon

Barbed Wire

Local Links:

Icon Return to Righting An Injustice Page
Icon Return to Internment of Ukrainians in Canada 1914-1920 Page
Icon Return to Ukrainian History Page
Icon Return to InfoUkes Home Page


Document Information

Document URL: http://www.infoukes.com/history/internment/booklet02/doc-098.html

Copyright © 1994 Ukrainian Canadian Civil Liberties Association

Copyright © 1994 Lubomyr Luciuk

We acknowledge the help in the preparation of this document by Amanda Anderson

Page layout, design, integration, and maintenance by G.W. Kokodyniak and V. Pawlowsky

Copyright © 1996-1997 InfoUkes Inc.
E-mail: internment@infoukes.com

Ukes-O-Meter

since Mar 1 1997
InfoUkes Inc.
Suite 185, 3044 Bloor Street West
Etobicoke, Ontario, Canada M8X 2Y8
Tel: (416) 236-4865 Fax: (416) 766-5704

Originally Composed: Wednesday December 4th 1996.
Date last modified: Thursday October 30th 1997.